Les Arques
Impression numérique sur papier
Nicolas Boulard – 2018
110 x 175 mm
78 pages
Texte et images Nicolas Boulard
Les Ateliers des Arques

Livre réalisé dans le cadre de la résidence « Agir dans son lieu » aux ateliers des Arques, printemps / été 2018 – commissaire Julie Crenn

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Le fonctionnement organique des choses. La fermentation naturelle. Ça pousse, c’est tout vert, plein de chlorophyle, ça respire, ça brille, c’est beau, on s’y met à l’ombre, ça change un peu de couleur, ça vire au jaune, au orange, au marron puis ça tombe avec le vent et les pluies, ça tombe par terre, ça se décompose pour fermenter lentement sur le sol et le nourrir pour permettre à la suite de pousser de nouveau. Que tu sois là, ou pas, c’est ce qui se passera.
Laisser pousser. Intervenir un peu si nécessaire. Laisser faire. Semer, planter, élever, cultiver. Est-ce que cette culture a lieu d’être ici ? Est-ce que cette plante peut pousser ici ? Dans ces conditions ? Quelles sont les conditions ? Sol ? Lumière ? Pluie ? Eau ? Vent ? Climat ?
Et cet animal ? De quoi a-t’il besoin ? Qu’est-ce qu’il lui faut ? Pour qu’il soit bien. Ça va ? T’es bien là ? La prairie et tout ? L’herbe, elle est bonne ? Et l’eau ? Ok, t’as de la place ? Bien. Bon. Bonne journée.
Et la poule ? Et le mouton ? Et la brebis ? Et le lapin ? Et le cochon ? Et quoi d’autre encore ?
Il y a de la place pour tout le monde.
Sans doute de vouloir tout compiler, regrouper, organiser, cadrer, structurer nuit à tout ça. Ne plus respecter le fonctionnement organique des choses.
Il faut savoir la mettre en veilleuse. S’asseoir, observer, comprendre. – « Que faites-vous ? »
Avoir vu les situations changer. Petite production. Restructurée. Arrêtée. Fini les lapins, les vaches, les clôtures, les machines, la boue, le purin, les odeurs, les parfums, les sols mous, visqueux, les sols secs, caillouteux, la paille, le fumier, le foin, les vergers, les prunes, les mirabelles. Puis, ni. Crise du monde agricole. Ne pas avoir les détails. Moins de monde. Remembrement, regroupement
de parcelles, plus grandes, productivité, rentabilité. Crise du lait. Moins de monde. Une seule personne, voir deux. Pas plus. Pas le temps. On traite, on
y va, faut semer, une fois, deux fois par an. Ne pas attendre, pas de repos. L’urgence, la mise en urgence. Il faut le faire. Ça n’a plus que la forme. Ça
y ressemble. C’est vert. On passe un produit puis un autre. Un pour faire pousser, un pour protéger, au cas où. Manger un fruit et prendre un comprimé de vitamines de synthèse et un anti-in amatoire au cas où avec un verre d’eau ltrée et ionisé. Voir du lait en poudre déshydraté, des granulés de café, de lait, de fruits. La synthèse de la nature. Pour économiser en transport. Réhydrater ici. Levurer. Stimuler. Enzymer. Osmoser. L’illusion des éléments. Un poisson pané en forme de poisson. Nourriture schématisée.
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Mercredi 4 avril
Soleil
Revenir sur le lieu, sur les lieux. Voir le soleil.
Être venu par la route. La ville, la plaine, l’autoroute, l’échangeur, le paysage, la route, encore, suivre. Travaux, dépassements, paysage, vallonné, arrivé. Petites routes. Faire le plein. Faire les courses. Arriver.
Ouvrir la portière et écouter.
Oiseaux.
Reprendre le lieu. Ré échir.
Avoir vu sur la route un camion de chantier. Peut-être faire un verger ou une jachère mobile. Re-faire.
Se promener dans le village, aux alentours, points de vue, différents lieux. Peut-être faire un parcours, un circuit, une circulation.
Différents contextes d’expositions : intérieur, extérieur.
Différentes techniques : sculptures, objets.
Établir une liste des matériaux, des textures, de ce que l’on peut trouver, ce qui caractérise matériellement le lieu.
Chercher les marchés, les fournisseurs de matériels pour agriculteurs, éleveurs, paysans, fermiers, cultivateurs. De quoi ont-ils besoin ?
Repense aux conserves. Aux boites. Aux bocaux. Pyramides.
Il est toujours possible de faire. On peut faire plein de choses.
Petit 1 : l’adresse. A qui s’adresse-t’on quand on fait une œuvre ? Monologue ? Partage au public ? A la critique ? A son auto-critique ? Ou alors, essai, tenta- tive ? Expérimentation ? Pour voir si c’est possible ? Non pas de changer tout, mais d’avancer un petit peu. Avancer d’un cran, dans l’absurde, le grotesque. Et ce que l’on fait n’est pas moins absurde ou grotesque que ce qui se passe dans le monde autour. Le vocabulaire, le lieu, la destination. De quoi ça parle. A qui ça s’adresse.
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Le village des Arques se trouve dans le département du Lot entre les villes de Cahors et de Gourdon dans un environnement rural composé de petites collines avec prairies, pâturages, forêts de chênes et de résineux.
Plusieurs maisons composent le centre du village avec église, mairie. L’an- cienne école est aujourd’hui un restaurant qui se nomme “Récréation”.
Des croix par-ci par-là, un monument aux morts. Village ancien, église romane. Présbytère qui est aujourd’hui le bâtiment principal des Ateliers des Arques, résidence d’artiste où je me trouve. Des maisons annexes, sans doute anciennes dépendances du présbytère, petits logements réhabilités.
Le musée Zadkine face à l’église, ancien atelier du sculpteur.
Un cimetière au bout d’une colline, en cul-de-sac avec une ruine.
Puis le village s’étend dans de multiples hameaux, lieux-dits, dispersés au bout de chemins ou au bord de routes : anciens moulins le long d’un cours d’eau, anciennes bergeries. Le mot ancien revient souvent…
Le paysage est agréable, petites collines, reliefs harmonieux. Les arbres ne sont pas encore en feuille, c’est l’aspect minéral qui ressort le plus actuellement. Maisons en pierre, murs en pierre, sol en pierre. Calcaire majoritairement.
Certains endroits sont secs et minéraux, d’autres un peu plus humides et végétaux. Pas ou peu de bruit. Les oiseaux communiquent entre eux ou af rment leur présence sur le territoire.
Il est rare de croiser quelqu’un.
Une route principale permet de rejoindre Cazals, bourg avec boulangerie, poste, épicerie, café, restaurant.
Après quelques jours, on devine les maisons occupées. La distinction se fait entre les résidences principales et les résidences secondaires. Volets fermés ou ouverts.
Le contexte est parfait pour la ré exion, la lecture et l’écriture.
Reste à savoir ce que l’on peut encore faire dans cet environnement. Créer une œuvre, un projet, développer une forme de travail, qui peut se présenter en extérieur ou en intérieur (les espaces sont multiples). Ne pas savoir ce qui va se passer entre ce lieu, ce paysage, cet environnement et ce qui se passe dans ma tête.
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Lundi 4 juin
Revenir sur le lieu après en avoir parcouru d’autres. Des multiples, des différents, des divers, des variés, des lieux d’intérêt, des lieux sans intérêt, des lieux loins, des lieux près.
Le premier lieu est dans la tête. En faire une topographie, voir où se trouvent les choses, les idées. Agir dans sa tête. Agiter les souvenirs, les mémoires. L’hémisphère droit actif, l’hémisphère gauche analytique. Le premier lieu se trouve entre ces deux parties du cerveau. Dans un creux, un pli, un recoin. Une zone de friction, de connexion. Une zone active, dynamique, enthousiaste. Et une zone analytique, raisonnée ou raisonnable.
Un lieu en mouvement. Non stop. La zone des activités permanentes.
Ce qui se passe dans ce lieu, ce qu’on y cultive, ce qu’on y laisse, ce qu’on y entrepose, ce qu’on y anime.
Sortir de ce lieu. En faire sortir quelque chose. Ne pas y être trop clair, les zones profondes du cerveau.
Lire qu’une lieue est une distance parcourue en une heure et qui prend en compte la géographie. Une lieue plate n’équivaut pas à une lieue en pente.
L’inconscient n’a pas de notion de temps.
Parcourir les chemins, les routes, pendant une heure. La géométrie des lieues. Reprendre le lieu, les lieux. En avoir visité de nombreux en un mois.
Parcourir sa tête pendant une heure, en pente douce. En faire une cartographie. Les zones à risque, les zones connues, les zones sombres, les voies rapides, les chemins de traverses.
Entretenir ce lieu. Y apporter des éléments, des textes, des mots, des images, des références, des idées nouvelles, des choses jamais vues, jamais lues.
Les zones fertiles et les zones sombres.
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Jeudi 14 juin
Le premier lieu serait celui dans la tête.
Commencer la conclusion. Et la placer au milieu du livre.
Mettre sa tête en mouvement. Lui proposer différentes situations. Observer, analyser, lire, écouter, sentir, regarder.
Les formes ouvertes.
Lire sa table de travail. Les cartes géographiques. Les formes géométriques. Les colonnes. Les boites de conserves. Les livres : Jean Giono «L’homme qui plantait des arbres». Deux pierres argentées. De la celle. Un ensemble de bouteilles d’eau vides. Quelques cartes postales de la région.
Dans l’ensemble des objets liés au déplacement et à la mobilité. Des objets de voyage. L’ordinateur est un portable et le téléphone également.
Téléportable. Porte à porte. En mouvement. En résidence. Sur la route.
Des cartes postales de villes environnantes. Des clochers, des bâtiments en pierre. Une vue aérienne assez inintéressante d’une ville voisine. Une autre vue de cette même ville avec inscrit «Gros Bisous du Lot». Une autre carte d’une autre ville, sa mairie, son église, son of ce de tourisme. Une autre carte du lieu où je me trouve. Une vue générale prise de la colinne d’en face, on y voit la mairie, l’église et le présbytère. Une autre vue de l’église, sans doute retou- chée car des éléments semblent manquer et l’église sous un autre angle avant l’aménagement actuel.
Un petit texte de 10 lignes dans un cadre imitation parchemin avec de nom- breuses césures. L’ensemble est graphiquement assez moche, ce qui fait son intérêt. Mais ne donne pas particulièrement envie de venir visiter le lieu.
Une autre carte du même village présente deux vues de l’église (intérieure et extérieure). Les deux photographies sont très mauvaises mais la typographie du nom Les Arques est intéressante. Reproduction interdite.
Agir dans son lieu.
Faire œuvre, faire histoire, faire acte, acter, faire. Activer. S’activer.
N’être sûr de rien et changer d’avis.
Adapter, ne pas se faire avoir par ses idées mêmes.
Se demander combien de collines ont été démontées pour la construction des maisons, villages. Un vide pour une structure. Le renversement de l’habitat. Des grottes à l’envers.
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